Homme à vendre

Réceptacle de Cronos

Venise, Quartier Dorsaduro, La Campo Santa Margherita, 21H15.

Jeans moulant aux fesses, échancré bas sur chaussures noires de grande marque. Chemise cintré négligemment entrouverte et recouverte à moitié par une veste en cuir légère. Sur le sommet du crâne une paire de lunette de soleil sans aucune utilité…

Eté ou hiver, par beaux jours de printemps, il revenait comme une hirondelle cherchant un nid douillet. Dimitrio Vivone faisait ce qu’il savait le mieux faire, vendre son corps à la femme la plus offrant. Gigolo n’était pas vraiment le terme approprié car il accordait à l’amour une très grande reconnaissance artistique et puis ce n’était pas son activité principale d’ailleurs. Non, c’était plutôt comme un passe temps lucratif qui permettait de mettre un peu de beurre dans les épinards les jours de disette. La vérité étant qu’il aimait les femmes et que de manière générale, elle le lui rendait plutôt bien !

Les choses commençant à sentir le roussit côté Eglise Des Bons Samaritains, Dimitrio préférait s’éloigner quelques temps de son refuge, histoire de se faire oublier. Plutôt que de dormir sous les ponts, jouer les gigolos nourrissait généralement les ventres et offrait une agréable nuit de plaisir et de confort. A Venise, la Campo Santa Margherita était une énorme réserve à étudiante. Pas vraiment bonnes payeuses mais facile à convaincre. De manière générale, l’animation du quartier lui assurait toujours de quoi subvenir à ses besoins pendant plusieurs jours. Pour peu qu’il tomba sur une riche donatrice et il pourrait même s’offrir quelques jours de vacances !

Bien sûr son locataire aurait pu l’aider un peu… bien sûr…

Mais Cronos, pour une raison que Dimitrio ne comprenait pas bien, refusait de se montrer au grand jour. Il devait donc se débrouiller seul pour le moment. Sommeillant paisiblement dans son crâne, le titan veillait d’un œil les agissements de son jouets mais n’avait pas encore décidait de s’en mêler. Chaque chose à sa place, le temps était de son côté… Livré à lui-même une fois de plus, Dimitrio n’était pourtant pas plus inquiet que ça. La débrouillardise était une des qualités coupant avec ses nombreux défauts. Examinant les allés des cafés au grès de sa marche, il cherchait sa prochaine cliente. Celles qui le connaissaient déjà, gloussaient lorsqu’il leur adressait un sourire. Cette reconnaissance là était bonne à prendre. Pour lui, toute reconnaissance était bonne à prendre. Il allait répondre à une invitation quand une exclamation attira son attention. Un peu plus loin à la même terrasse, une jeune femme s’en prenait à un garçon à peine plus vieux qu’elle. Dieux, vénérations, mythologie furent des mots qui remontèrent jusqu’à lui. Intrigué, il décida d’en savoir plus et se rapprocha du couple. Au loin, dans les brumes de son esprit, Cronos ouvrit un œil intéressé.

Lui… il semblait complètement allumé. Portant un habit évoquant vaguement une robe de bure, ou quelque chose comme ça, parlait vite et transpirait beaucoup. Sa voix était hésitante et ses mains se frottaient frénétiquement comme s’il voulait se débarrasser au pus vite d’une chose désagréable. Cette chose là semblait être son interlocutrice…

Elle… un électrochoc…

Humaine

Il est difficile de se débrouiller quand on a toujours été couvée par papa et maman. Difficile d'accepter aussi qu'on ne saura sans doute jamais quand on les reverra. Mais on s'y fait. En fait il s'agit juste de ne pas y penser. Les petits tracas domestiques aidant, le simple fait de se trouver un boulot permet de s'occuper l'esprit les premiers temps. Et puis on s'y fait. Et on a besoin de s'amuser. Finalement la vie s'écoule presque comme avant à quelques dieux près. C'était donc ça le nouveau quotidien de June. Aller à l'Académie le matin, travailler l'après-midi, sortir un peu le soir si le coeur lui en disait. Et ça se faisait tout seul, alors pourquoi s'inquiéter ? La jeune fille possédait un étonnant sens du déni et parvenait parfaitement à se cacher une vérité dérangeante et peu rassurante.

Se promener ou faire les magasins telle une fille futile qu'elle était parfois, voilà qui lui permettait d'oublier qu'elle se retrouvait seule dans une ville qu'elle ne connaissait que très peu. Encore heureux qu'elle ai un endroit où dormir ! Bien que de taille modeste l'appartement de son oncle était très confortable, elle avait même eu le droit de l'aménager à son goût ! De toutes manières, coincée ici elle l'aurait pris le droit. Ce soir là, June avait décidé d'explorer un peu la ville et s'était retrouvée dans un petit café de la campo Santa Margherita fort sympathique et rempli d'étudiants de l'Académie. Bon ça tombait bien, au moins elle n'était pas entourée de vieux pervers en puissance.

Sirotant tranquillement un chocolat chaud, la petite brunette fut bientôt accostée par ce qu'elle détestait le plus dans cette ville après les dragueurs très très lourds : les illuminés à la solde d'un dieu ou d'un titan quelconque. Blablabla il faut vénérer... Blablabla sinon tu seras damnée... Blablabla et blablabla... Commençant sérieusement à perdre patience, June perdit bientôt toute réserve et explosa. C'était le troisième de la journée ça commençait à bien faire ! Bientôt une cascade de jurons anglais et mandarins (la seule chose qu'elle connaissait de la langue de sa mère) se déversa sur l'illuminé en question alors que la voix de son interlocutrice se faisait plus aigüe et plus forte.

"Mais je commence à en avoir MARRE de cette histoire !!!!!! VOUS ALLEZ ME FOUTRE LA PAIX AVEC VOS FOUTUES VÉNÉRATIONS DE MES DEUX ?!!!!! JE NE VÉNÈRE QUE MON PÈRE VOILÀ !!!!!"

Tapant du poing sur la table avec mécontentement, elle laissa partir l'homme avec un rictus de satisfaction et croisa les bras d'un air boudeur. Et voilà, elle s'était encore faite remarquer... Mais apparemment ça n'avait pas l'air d'avoir beaucoup dérangé les clients qui souriaient d'un air amusé en plaignant le pauvre type qui était tombé sur une furie pareille. Recommençant à siroter son chocolat, la petite furie sauce menthe remarqua qu'un autre homme la fixait avec insistance. Oh nan... pitié ! Elle avait suffisamment donné pour aujourd'hui concernant les dingues et leur foi envahissante ! Cependant, il était très séduisant et un instant June pensa perfidement qu'il y aurait beaucoup de femmes ici prêtes à lui prouver leur foi ! Mais la petite peste ne dit rien et se contenta d'un coup d'oeil morne avant de reporter son attention sur sa tasse vide.

Réceptacle de Cronos

C’était une nuit plaisante pour bavarder et faire de nouvelles rencontres. C’était le genre de nuit que les étudiants aimaient, celles qui annonçaient les weekends et les fêtes, les vacances prochaines et la saveur de l’été. Une nuit qui faisait penser à toutes les autres où l’on avait erré dans Venise, l’âme au bord des yeux et la mélancolie sur le cœur. Une nuit pour les romantiques, les fêtards, les derniers travailleurs et les jolies filles…

Elle n’était pas exceptionnelle au sens propre du terme. Un physique plaisant certes, un beau visage aux accents d’Asie et des yeux à faire tomber la grande muraille ; oui mais finalement, pas mal de femmes d’aujourd’hui savait présenter le meilleur de leurs charmes. Dimitrio comme Cronos avaient appris à se méfier des apparences. Les femmes étaient trompeuses comme les soleils de printemps. Un instant d’inattention et l’averse vous offrez une excellente douche froide ! Non, ce qui avait marqué le jeune homme, c’était les mots de l’inconnue, sa voix, son expression. Tout en elle disait « je n’ai ni dieu, ni maître ». Le monde pouvait bien s’écrouler que sa propre conviction ne céderait pas. C’était sa force de caractère qui l’avait touché et avait réveillé le titan de son profond sommeil.

Alors, ce n’était pas vraiment de sa faute si son regard ne pouvait se détacher de la jeune femme. Cronos aussi était hypnotisé. Une vague pensé de compassion traversa Dimitrio en faveur de l’épouse du titan. Bien qu’il ne l’ai pas encore rencontré, il avait vite comprit que les relation entre son parasite et elle était assez particulière… Il ne jurait que par elle mais ne pouvait s’empêcher de la tromper… Amour étrange aux étranges concepts… De toute manière, titan ou non, son choix était fait ! Elle serait la seule se soir. Elle ou personne d’autre ! Et qu’elle savoure sa chance, il ne faisait jamais d’exclusivité !
Se passant une main dans les cheveux pour se donner une contenance, il s’approcha de la jeune femme dans l’idée d’engager la conversation.

- Le mandarin vous va bien mais il est erroné. Me permettrez-vous d’y apporter quelques améliorations ? Je suis réputé pour être un excellent professeur !

Son sourire n’était pas charmeur. Après la scène qu’elle venait de faire, Dimitrio savait que ce n’était pas la stratégie à adopter. Optant pour une attitude bien plus honnête, son sourire se voulait taquin et ses yeux ne mentaient pas. Expert en mandarin c’était peut être trop, cependant il avait eu un jour une liaison avec une femme d’affaire chinoise qui avait cru bon de lui enseigner le monde. Finalement c’était peut-être ça le destin ! S’invitant à la table de la jeune femme, il s’assit en face d’elle et commanda à boire. Rien de fringuant ou d’hypocrite, l’impressionner de cette manière là ne l’intéressait pas.

- C’est une soirée idéale pour sortir entre amis… Or vous êtes seule à table ! Vous êtes nouvelle à Venise ?

Nouvelle… tout s’entendait ! Depuis que les dieux et les titans avaient débarqué ici bas, Venise n’était plus que Venise. Elle était devenue un pays à elle seule, l’unique endroit de ce monde qui était encore accessible à ses habitants ! Alors nouvelle… mais si elle le voulait, Dimitrio lui montrerait tout de cette ville…

Humaine

Il était bizarre ce type qui lui faisait face. Plus que tous les illuminés qui avaient osé l'aborder. il avait un regard un poil allumé, un regard qui vous fout un long frisson le long de la colonne vertébrale et vous fait grincer les dents. Et pourtant il était beau. Oui vraiment beau, un espèce de charme sombre et de distance avec le commun des mortels que June appréciait. Oui c'était comme se retrouver face à ce démon d'Heathcliff dont la sauvagerie contrastait avec les manières froidement délicates. Face à deux personnes en réalité. Mais cela, elle n'en avait pas conscience. Non elle pensait juste qu'il avait une drôle d'étincelle dans le regard.

La suite ne plu pas vraiment à la jeune fille qui se renfrogna. S'il y avait bien une chose qu'elle détestait c'était qu'on la critique. Quoi son mandarin ne lui plaisait pas ? Il voulait lui donner des cours ? Et puis quoi encore !!!! Elle détestait les critiques, chose que son caractère soupe au lait n'acceptait pas. Et lui ce type avec une gueule de jeune premier romantique voulait lui faire la leçon ? Reposant sa tasse avec une brusquerie inélégante, June lui lança un regard noir alors qu'il s'invitait à sa table.

"De quoi j'me mêle ?! On a vu mieux comme technique de drague Roméo !"

Au point où elle en était, elle était presque prête à lui tirer la langue ! Croisant les bras et se demandant quand son mandarin avait eu une faiblesse notable pour un type qui apparemment n'avait aucune origine chinoise, elle fut légèrement surprise de voir qu'il ne s'énervait pas. Ben ça alors, c'était plus fort que la sauce menthe ! Et impressionnant. En général elle avait le chic pour agacer, mettre en rogne les gens plus vite que son ombre. Et là rien. Juste ce sourire taquin qui l'agaçait un peu et ce regard tranquille qui acheva de la calmer.

"Et si vous commenciez par m'offrir à boire hein ? Je veux un chocolat et je déteste avoir la gorge sèche, ajouta la petite peste avec un micro sourire."

Test numéro un pour voir si le type avait VRAIMENT envie de lui parler. Et visiblement c'était le cas. Bon, il ne s'agissait pas de faire la difficile... Un beau type comme ça, qui lui offrirait certainement à boire, et qui n'était pas rebuté par son caractère de cochon... banco ! Et si elle pouvait en savoir plus sur cette petite étincelle dingue qui dansait dans son regard, elle n'aurait pas totalement perdu sa soirée.

"Oui je suis nouvelle ici... ça se voit tant que ça ?"

Autant faire preuve de bonne volonté n'est ce pas ?

Réceptacle de Cronos

Et bien, le moins qu’on puisse dire c’est que la demoiselle n’avait pas sa langue dans sa poche. Plus les mots sortaient de sa bouche et plus l’intérêt de Cronos s’en trouvait aiguisé. Si cela continuait, Dimitrio prendrait le second rôle ! Bien que ce faire posséder par le titan ne le déranger pas vraiment, il avait vue la fille avant quand même ! Un peu jaloux et possessif de nature, il refusait de laisser sa place à un autre, fut-il dieu du monde ! Laissant couler la première remarque de la jeune femme, il écoutait en souriant amusé. Dimitrio avait le secret de ces sourires immatériels qui prenait au cœur. Ce n’était ni un mensonge, ni une ruse. Une livraison total de lui-même au regard de l’autre, il n’avait rien à cacher ni à prouver contrairement à Cronos. Certains le trouvaient fou, il penchait plutôt pour une liberté que seulement quelques personnes savaient prendre. Ici et ailleurs, devant vous et à l’intérieur en même temps. Enfin… ce n’était que l’impression qu’il donnait !

Attrapant un serveur au vol, il passa commande pour son hôte. Rien de plus, rien de moins, elle n’avait pas finit de parler et il voulait tout entendre avant de répondre. Son petit air agacée et sûr d’elle la rendait encore plus séduisante. Pourtant, il semblait que plus les secondes passaient et plus elle s’apaisait. L’énergie frénétique qui débordait de tout son être paraissait moins virulente, plus mesurée. Payant et remerciant le serveur qui venait d’apporter leur commande, il sirota tranquillement son verre sans quitter des yeux son interlocutrice. Un nouveau sourire mystique s’empara de lui avant qu’il ne cède enfin. Posant ses deux mains jointes sur la table, il se pencha en avant comme pour la mettre dans la confidence.

- Et bien… disons que je suis un habitué des lieux et que c’est la première fois que je vous croise, je m’en serais souvenue autrement ! Ni voyez là aucune technique de séduction particulière… Gigolo fait partie de mes nombreuses attributions et je déroge à mon travail simplement parce que vous me paraissez vraiment intéressante !

Se rendant soudain compte que ses paroles pouvaient prêter à confusion, il s’empressa d’ajouter un peu embarrassé.

- D’un point de vue… psychologique je parle, n’y voyez là aucune allusion malsaine ! Vous criez souvent comme ça sur les gens ?

Un sourire taquin chassa la gêne de son visage. Il était peu courant de voir quelqu'un se permettre de crier dans les rues sans ressentir aucune honte. Elle semblait soudée à la terre, forte et destructrice si elle le désirait. Il devait le reconnaître, cela l’impressionnait vraiment et en savoir plus sur elle devenait maintenant presque vitale. Cependant Cronos ronchonnait à l’intérieur de sa tête et pour satisfaire le titan, il du se permettre d’ajouter sans malice aucune :

- Cela dit la colère vous rend vraiment très belle !

Humaine

"Gigolo ? C'est original ça... Et en quoi je parais intéressante Monsieur le Bourreau des Coeurs, demanda la petite brunette. Il y a ici beaucoup de très jolies femmes. Je ne vois pas pourquoi vous venez vous ennuyer avec une gamine caractérielle comme moi. Mais merci pour le chocolat, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil malicieux."

"En général on me le reproche et j'avoue que j'ai tendance à vite monter le ton, avoua la jeune fille . Et je fais fuir certaines personnes, mais pas vous, c'est étonnant."

Réceptacle de Cronos

Au fard qu’elle piqua, Dimitrio ne réprima pas un sourire. Sans moquerie aucune bien sûr, mais il savait les mots capable de toucher les esprits rebelles. Et puis, contenue de son physique, elle ne devait pas avoir dépassé les vingt ans. Il n’avait pas oublié les inconvénients de cet âge entre l’adolescent et l’adulte. Cependant, que ça remarque parvienne à la rendre muette le surpris lui-même. Comme quoi, même la répartie de la jeune fille ne pouvait pas venir à bout de tout !

- Gigolo n’est qu’un métier parmi d’autres ! J’en exerce tellement qu’en cet instant je pourrais très bien être recruteur pour une agence, espion ou simple passant... Tiens ! Pourquoi pas disciple de Rhea cherchant à trouver de nouveaux adeptes ?

Il agita la main devant lui comme pour chasser une mouche.

- Non, j’ai cru comprendre que ce n’était pas le genre de chose qui vous intéresse…

Une lueur malicieuse passa dans les yeux du jeune homme. Certes le choix de Rhea était peut-être un peu déplacé dans la mesure où il… D’un autre côté, elle restait la femme de Cronos, la mère de ses enfants et la reine des reines. Rivaliser avec elle n’était pas possible… Mais lui, Dimitrio Vivone, n’était en rien Cronos !

« Ton humour devient douteux mon ami…
Déformation professionnel… j’ai été clown un jour ! »

- Que reprochez-vous à ces adeptes ? Auriez vous envoyez promener un prêtre de la même manière ?

Qui était-elle ? Derrière son sourire et son fort caractère, quelles étaient ses croyances ? Dimitrio avait été élevé dans la croyance de Dieu mais n’y prêtait plus vraiment foi. Cronos n’était qu’une entité un peu plus puissante qu’une autre mais cela en faisait-il le créateur du ciel et de la terre ? Ou se cachait la différence, ou se trouvait la réalité ? Lui, qui était prompte à croire en ce qui l’arrangeait, pouvait-il renier les histoires et l’éducation de son enfance ? L’insouciance… l’insouciance de ses 20 ans, c’est ce qui lui manquait aujourd’hui !
Si cette jeune fille croyait en quelque chose aussi fort qu’elle pouvait contester le reste, peut-être lui apporterait-elle les réponses. Mais est ce que Cronos laisserait faire les choses ?

Lentement mais sûrement, il commençait à mettre en œuvre ses plans, à créer sa communauté et à trouver ses adeptes. Dans le secret, sans que personne ne sache où il se trouvait, ni ce qu’il comptait faire. Même son réceptacle restait dans le flou…
Tout cela était très excitant, mais quand les choses deviendront dangereuses, sera-t-il lui aussi à la hauteur ?

Humaine

Sans rire ? C'était vraiment bizarre comme situation. Si on lui avait dit alors qu'elle mangeait son gigot sauce menthe que, quelques mois plus tard, elle serait coincée à Venise et en compagnie d'un gigolo, June aurait très certainement éclaté de rire. A présent la situation, loin d'être désespérée, ne la faisait pas rire. Juste s'interroger profondément. A quel moment son karma avait il merdé à ce point ? Elle l'ignorait. Peut être quand elle avait envoyé un virus dans la boîte email d'un de ses profs. Ou alors quand elle avait "oublié" d'aider cette vieille grand-mère à traverser la rue.

"Encore un mot sur les adeptes d'une quelconque divinité et jvous garantis que vous allez passer les prochaines minutes à essayer de laver votre chemise", menaça la petite brunette en lui agitant sa tasse sous le nez. "Et puis entre nous... vous n'avez pas du tout la tête d'un type qui bosserait comme le pécore moyen. En fait vous n'avez pas la tête d'un type qui bosserait tout court. Sans vouloir vous vexer."

Et un petit sourire. Malgré ses paroles pas vraiment aimables, June n'en voulait absolument pas à son compagnon. Elle disait simplement ce qu'elle pensait. Mentir ? Oui mais seulement quand la situation l'exigeait. Autrement elle était d'une franchise à toute épreuve et n'hésitait pas à assumer les conséquences de ses actes ou de ses paroles. Réfléchissant un peu à la question de son interlocuteur, elle croqua un morceau de son gâteau à la cannelle puis le fixa dans les yeux.

"J'aime pas qu'on me dise quoi penser. Et puis ils m'énervent."

Ouiiiii ? Bon, elle pouvait peut être préciser un peu plus la chose non ?

"Ils m'énervent parce qu'ils ont la preuve que ce qu'ils croyaient existe. Mais le pire... c'est qu'avant l'arrivée de ces crétins de dieux, ils n'y croyaient pas. Alors quoi ? C'est si facile que ça de renier ses convictions et ses croyances ? Je trouve ça méprisable et totalement dénué de la moindre fierté. Et puis se soumettre pitoyablement c'pas mon truc... J'ai un esprit trop cartésien pour croire qu'ils sont tout puissants et qu'ils n'ont pas de faiblesse", ajouta la jeune fille d'un ton de confidence. "Tout le monde a une faiblesse, même eux. Surtout eux je devrais dire, avec leur égo sur-dimensionné ça va pas être bien difficile à trouver !"

Après quelques secondes de silence, la petite asiatique eu l'impression de s'être embrouillée elle-même. Plissant les yeux de concentration en fixant son chocolat chaud pour se remettre les idées en place, elle oublia complètement son compagnon pour quelques instants, histoire de connecter les bons neurones entre eux.

"Et vous ?" demanda t-elle soudain. "C'est quoi votre avis sur la question ? Vous vénérez un usurpateur sensé être divin ?"

Réceptacle de Cronos

Dimitrio l’avait laissé parler sans l’interrompre. Le rouge avait saisit ses joues alors que son regard s’enflammait une fois de plus. Elle lui plaisait bien c’était vrai. Ca façon de s’exprimer et de stopper net tout ce qui l’énervait la rendait passionnante. Toute cette discussion l’amusait beaucoup.

- Il est vrai que travailler n’est pas chose plaisante. C’est pourquoi je change souvent… Pour combattre l’ennuie en quelque sorte. Tout me plais sans me toucher alors je cherche quelque chose qui pourrait me donner un rôle plus important. Dur de trouver par les temps qui courent !

En arrière plan, Cronos se mordait les lèvres de frustration et de rage contenu. L’esprit relativiste et détaché de son réceptacle permettait de conserver un semblant de calme que le dieu ne ressentait absolument pas en cet instant. Mettre en cause son divin pouvoir avait toujours blessé son orgueil et il fallait bien avouer que la minette avait mis le doigt là où ça fait mal ! Les dieux étaient vaniteux, trop sûr d’eux depuis de trop nombreux siècles. Lui qui avaient grandit dans le dénuement et la prière ne possédait pas ce genres de pensées. Si il souhaitait être reconnu, c’était plus pour affirmer son existence sur cette terre que le désir profond de pouvoir et de puissance. La colère de Cronos n’était pas sienne, elle ne pouvait pas l’atteindre.

* Sage mon ami, si elle te plaît il va falloir ruser et non t’enorgueillir de ta puissance… elle est au dessus de ça *
* Qu’en sais-tu-toi ? *
* Je connais les femmes d’aujourd’hui, elles ne sont plus celles du passé !*

La dernière question de la jeune femme le laissa pantois. En quoi croyait-il ? La question était à méditer. Abritant l’esprit d’un dieu, il devait être logique qu’il le vénère… Cependant, Dimitrio Vivone avait grandit chez les frères Capucins et la croyance du Dieu unique devrait prédominer sur tout le reste. Mais voilà, il n’était qu’un homme sans église, qui ne réfutait pas les miracles et les possibles mais qui n’avait trouvé en ce monde aucun seigneur pour satisfaire ses prières. Cronos avait la classe et le titre, mais son cœur était bercé par ses désirs et ses vengeances. Comment lui pouvait-il comprendre des choses comme ça ?

- Je ne sais pas. Mon premier et véritable « métier » est celui de frère Capucin. J’ai été élevé par un Homme qui m’a fait partager ses croyances et sa foi et qui m’a mené sur un chemin que je n’aurais jamais parcourut de moi-même.

Dimitrio sirota le fond de son verre. L’heure n’était plus vraiment à la taquinerie.

- Mais il était comme un père et c’est pour cela que je l’ai suivi. Aujourd’hui je ne saurais dire si j’y crois vraiment, si j’y ai cru où si tout est définitivement terminé pour moi… Et vous ? Croyez vous en quelque chose ?