- Asseyez-vous je vous prie.

« Je vous prie » … blablabla. Que de belles paroles. J’ai bien envie de l’envoyer balader mais après tout, cette greluche ne m’a rien fait.

- Quoi ?!

Elle me fixe depuis mon arrivée et je n’aime pas ça. Je comprends pas cque jfous là, et encore moins ce qu’une bonne femme en robe à fleurs veut de moi. J’aurais dû courir plus vite… merde !

- Ne soyez pas désagréable, monsieur… Zavattero, dit-elle en jetant un bref coup d’œil à ma carte d’identité. Vous vous faites passer pour un gamin des rues mais vous avez des papiers et un endroit où loger… pourquoi ?

Son air sûr d’elle ne me plaît pas du tout, et les deux colosses qui me retiennent encore moins. Cela dit, j’ai pris assez de coups pour aujourd’hui. Je crois que je vais attendre un peu avant de tenter une fois de plus la résistance…

- Tsss ! Si vous connaissiez mon père vous n’iriez pas vivre avec lui non plus. Mais euh vous êtes qui d’abord ? Et eux ? Ils peuvent pas me lâcher trente secondes ?!

Il n’en faut pas plus aux armoires à glace pour resserrer leur étreinte sur moi. T’as gagné, Felipe, idiot ! En face de moi, blondie esquisse un sourire satisfait et semble ravie de me laisser patauger dans l’ignorance. Je commence sérieusement à me demander si j’aurais pas mieux fait de me faire embarquer par la police…

- Ce mec qui m’a aidé là… C’était qui bordel ? Il travaille pour vous ?!

- Je vais y venir. Ne soyez pas impatient. Monsieur Zavattero… je suis certaine que vous en avez malgré tout assez de vivre dans la misère et que vous aspirez à faire quelque chose de votre vie.

- Conneries…

- Ne m’interrompez pas je vous prie ! Vous êtes ici parce que Monsieur Aldego vous surveille depuis un moment déjà. Vos activités diverses et pour la plupart illégales ne nous intéressent pas… nous avons en revanche reconnu chez vous un certain talent qu’il nous plairait d’exploiter davantage…

Exploiter ? Je mfais exploiter par personne, moi madame… Bordel, mais c’est quoi cette histoire ? Le vol, le détournement, le sabotage, depuis quand c’est considéré comme un talent ? Si mon père entendait ça il serait fou. Et ma mère alors… ma pauvre mère, vivant toujours aux crochets de ce salaud… Ca me tue de savoir qu’elle vit encore avec lui. Enfin, au moins elle, il ne la frappe pas… Il a pas intérêt, cet espèce de salopard… !

- Nous travaillons indépendamment de la police, Monsieur Zavattero. Vous n’êtes pas là pour être jugé au nom de la loi.

- Ah non ?! Et ils sont là pour décorer eux peut-être ? Commente-je en désignant du menton les deux colosses qui refusent toujours de me lâcher.

-Eh bien… vous vous êtes montré plutôt résistant, nous avons donc employé les grands moyens…

Les grands moyens… tu parles ! J’ai horreur de me sentir rabaissé comme en cet instant ! Fier, moi ? Oui et alors ?! Un peu de dignité, ça fait de mal à personne. J’aime pas qu’on me prenne pour un con, ni qu’on tourne autour du pot pendant des heures ! Et c’est exactement ce qui est en train de se passer en ce moment. Cette bonne femme et ses gorilles commencent à me taper sérieusement sur le système !

-Hum… lâchez-le.

Après un regard entendu avec mes « gardiens », miss casse-pieds m’accorde enfin un léger sourire et mes bras endoloris sont enfin libérés. Je me dégage moi-même violemment sur la fin en un geste rapide et mauvais.

-Merci, grogne-je sans grande conviction en jetant un regard noir au type de droite.

Avec ton copain tu fais le malin, mais si jte croise tout seul un de ces quatre tu vas me le payer, enfoiré ! Ca vaut aussi pour toi, salopard… deux contre un, ben voyons… j’ai horreur de la loi du plus fort ! J’ai horreur des injustices…

- On vous a vu à l’œuvre et ce plus d’une fois… vous traînez souvent dans les quartiers nouvellement habités par les dieux et titans et visiblement, vous ne les portez pas dans votre cœur, je me trompe ? …

- Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

Je m’attends à un « restez correct » supplémentaire mais ce dernier ne vient jamais. Miss coincée semble satisfaite et ajuste un bloc de papiers entre ses doigts récemment manucurés. Pfff… superficielle et maniaque, avec ça.

- Très bien. Puisqu’il faut aller droit au but avec vous, c’est maintenant ce que je vais faire. Mais ne croyez pas après cela que vous bénéficierez d’un quelconque traitement de faveur au sein de notre organisation.

- J’aime pas le favoritisme, ça tombe bien.

- C’est-ce que j’ai cru comprendre, oui. Nous savons beaucoup de choses à votre propos, Monsieur Zavattero. Né Felipe Geremia Alessandro le 8 juillet 1986 ici même à Venise, dans les quartiers pauvres et reculés, vous avez grandi et passé la plupart de votre temps dans la rue à vous rebeller contre vos parents et l’école, que vous n’avez pas fréquenté longtemps… A 16 ans vous avez quitté le lycée pour trafiquer dieu sait où sur les marchés ou avec des forains… vous n’êtes pourtant pas un idiot, à ce qui est écrit là. Vos professeurs ne vous ont pour la plupart pas porté dans leurs cœurs mais quelques uns ont simplement reconnu en vous une envie puissante de vous démarquer, un besoin de vous rebeller contre un système que vous trouvez injuste et mal fait. Je suppose que votre vie à la maison et vos relations avec vos parents ont été et sont toujours compliquées. Néanmoins, vous semblez malin, et efficace dans un domaine que nous expérimentons. Nous recherchons des gens comme vous, pensez-vous pouvoir rejoindre notre organisation ?

Blondie arque en sourcil en attente d’une réponse et me laisse totalement pantois.

-J’y crois pas… Mais… mais vous êtes qui ? Vous avez pas le droit de fouiller dans ma vie comme ça ! Qui vous a donné l’autorisation hein, qui ?!

J’enrage, me lève et frappe du point sur le bureau. En face de moi mon interlocutrice reste de marbre et ne cille pas une seule fois. Je me redresse alors et me rassois dans le fauteuil qui m’est destiné. J’avoue. Impressionnante la nana !

- Répondez franchement à cette question et je vous dirais ensuite presque tout ce que vous voulez savoir… Etes-vous favorable au règne des dieux et des titans, ou non ?

- C’est quoi, un piège ? Si jdis non jme fais incendier, c’est ça ?

- Quelle que soit votre réponse, vous ne craignez absolument rien…

- C’est ça… donnez-moi… une seule bonne raison ! Une seule, pour vous faire confiance… dis-je alors en me penchant vers elle et en chuchotant presque.

Alors à son tour elle s’approche de moi, et me fixe un long moment avant de me répondre, tout aussi bas :

- Vous n’avez pas le choix…

-Hin…

J’éclate d’un long rire qui sonne faux et reprends peu à peu mon sérieux. J’ai aucune idée de ce que je fous là, c’est vrai, j’aime pas les dieux, ni les titans, j’aime pas qu’on me dicte ma conduite, et je n’ai pas non plus l’intention de me laisser faire par ces êtres arrogants et suffisants qui se prennent pour les rois du monde ! Les dieux, ça n’existe pas pour moi ! Et je ne veux pas d’eux dans ma vie !

- Non. J’aime pas les dieux. J’aime pas les titans. Je veux qu’ils crèvent ! Personne… personne n’a le droit de se prendre pour le maître du monde et de tout contrôler ! Crache-je enfin à l’attention de mon interlocutrice.

Tant pis si jme fais exécuter pour ça. Au moins j’aurais dit ce que jpense. L’honnêteté, ça se perd ces temps-ci. J’ai pas envie de jouer les pourris comme tous ces salopards qui ont pris la tête du pays.

Étonnamment, ma réponse à l’air de plaire à Blondie. Cette dernière m’adresse pour la première fois un sourire conquis avant d’ajuster ses lunettes sur son nez. Elle est pas mal, en fin de compte. Un peu sévère mais j’aime bien les gens qui imposent le respect. Pour peu qu’ils le méritent…

- Je vous parle en cette heure au nom de la Résistance, Monsieur Zavattero. Nous nous sommes permis de faire des recherches sur votre personne parce que nous vous pensons apte à rejoindre nos rangs. Je n’irai pas par quatre chemins. Vous avez envie d’agir et besoin de vous trouver une occupation. Vous avez prouvé votre efficacité et exerçant diverses activités allant toujours à l’encontre des divinités récemment revenues en ces terres et en évitant soigneusement de vous faire prendre. Je ne vais pas vous mentir. Vous nous avez déjà échappé une fois. Vous avez le profil correspondant. Je vous propose en cela de rejoindre… la Résistance.

Ma mâchoire se resserre, je fouille dans ma mémoire… Merde alors… donc c’est vrai ? La Résistance… comme pendant la seconde guerre mondiale, mais contre les dieux et les titans ! Je pensais pas que ça existait vraiment… diable, et dire que je suis dans leurs bureaux…

- Bien entendu, il va vous falloir demeurer prudent. Rien ne se fait à la légère ici, et vous devrez rester discret en toutes circonstances. Nous aurons des missions à vous confier et vous bénéficierez d’un soutien financier de notre part, bien évidemment. Certaines missions l’exigerons, je le précise, avant de vous laisser vous mettre à râler.

Pris de court, je passe une main dans mes cheveux et secoue négligemment la tête. Me mettre à râler ? Ben voyons ! C’est vrai quoi, j’ai besoin de personne, jpeux très bien me débrouiller tout seul…

- J’ai pas besoin d’argent.

- Eh bien soit. Vous continuerez à vivre comme un miséreux si cela vous chante, mais quand nous l’exigerons, vous devrez vous plier à nos recommandations.

Ah oui ? Et puis quoi encore ! J’obéis à personne si c’est pas justifié… et encore !

- Prenez pas vos désirs pour une réalité… j’ai de comptes à rendre à personne. J’ai pas dit que j’acceptais de travailler pour vous.

Et là… le meilleur du spectacle… son regard azur fixé sur moi, elle se penche et me contemple avec la sérénité d’un Maître Zen.

- Mais vous avez déjà accepté de travailler pour la Résistance, Monsieur Zavattero. Vous êtes un résistant, dit-elle en détachant chacun de ses mots. Depuis votre plus tendre enfance, vous avez développé le caractère parfait. Si vous êtes ici c’est parce que nous avons reconnu chez vous un certain potentiel. Nous ne recrutons pas à l’aveuglette. Vous avez beau être grossier, puéril, têtu et posséder l’étoffe d’un véritable emmerdeur à l’esprit contradictoire… vous êtes un homme comme il nous en faut. Alors, je n’aurais qu’une seule chose à vous dire : Bienvenue parmi nous, monsieur Zavattero.

Ca m’est déjà arrivé d’être pris de court, mais jamais comme ça. Cette nana vient de me scier sur place. Instinctivement, je repense à mon père, qui m’a toujours traité comme un moins que rien et à ma pauvre mère qui manque de raisons d’être fière de moi. Pauvre femme, je ne la vois plus beaucoup, mais je lui ai juré en quittant la maison de trouver quelque chose à faire… La Résistance… lutter contre un mal, est-ce que c’est pas un peu ce que j’ai toujours voulu ? Depuis le jour où j’ai envoyé un sale gamin dans les roses parce qu’il avait piqué sa poupée à une petite fille dans la cour de maternelle, en passant par la fois où j’ai réussi à coincer un salopard qui exploitait ses employés ?
Bordel, si un jour la Résistance vient à bout des divinités, ce sera une vraie victoire… la première véritable… l’occasion de montrer à ma mère qu’elle a pas mis au monde au minable et de prouver à mon enfoiré de père que son bon à rien de fils l’est toujours davantage que lui… !

Mon regard se pose successivement sur les nombreuses étagères ornant le mur d’en face et je secoue la tête tout en terminant ma réflexion. C’est dingue, y a cinq minutes je croyais ma vie foutue, et y aurait eu de quoi, pour tous les sales coups que j’ai pu faire, aux yeux de la loi comme à l’encontre des dieux, et me voilà presque membre d’une organisation ultra-secrète dont je soupçonnais à peine l’existence. J’aime pas bien ça, mais je dois reconnaître que cette nana a du flair et qu’elle a su me capter de façon assez impressionnante. Merde, pourquoi réfléchir davantage ! Donner une bonne leçon à tous ces arrogants qui se prennent pour les puissants, c’est-ce que j’ai toujours voulu…

Je jette un regard entendu à madame robe-à-fleurs et bien qu'agacé de m'être fait avoir de la sorte, ne peux m'empêcher de manifester mon accord. Elle me sourit, visiblement satisfaite de sa victoire. Je suis presque sûr qu'elle n'a jamais douté d'elle une seconde. Ah, les femmes ! Et elle surtout... un sacré morceau, j'ai l'impression !

Les colosses derrière moi s'agitent, le petit entretien surprise va très rapidement prendre fin.

- Ok, dis-je en croisant les bras. Jveux bien voir cque ça donne. Jdois faire quelque chose ?

- Restez discret, pour le moment. Le Blue Pegasus, c'est en quelque sorte notre "repère"... rendez-vous là-bas régulièrement, nous vous y transmettrons ainsi missions à exécuter et renseignements. En attendant continuez à vivre comme vous l'avez toujours fait. Je vous recommande toutefois de vous tenir à carreaux. Plus question de l'ouvrir de trop, vous travaillez dans l'ombre désormais, ne l'oubliez pas. Et sachez que nous restons à votre entière disposition si vous souhaitez bénéficier d'un quelconque soutien financier...

- C'est cela, oui.

- Eh bien Monsieur Zavattero, je ne vous retiens pas plus longtemps. Si vous avez des questions mon collègue y répondra de bon cœur. A très bientôt j'espère.

Cette histoire est complètement dingue. En moins de deux, voilà mon interlocutrice mystérieusement disparue, et un homme de petite taille du genre bon vivant vient prendre sa place sur le fauteuil d'en face. Je ne prête que peu d'attention à cet homme pourtant, encore incapable de réaliser ce qui m'arrive réellement...

Moi, un pauvre garçon des rues, un minable, un idiot, entré dans un réseau de saboteurs pour la survie d'un peuple et de sa liberté ?! La chance aurait-elle enfin tourné !?

Une véritable histoire à dormir debout, mais ok Blondie, tu m’as voulu, tu m’as eu !

Résistance, me voilà ! …