Confortablement installée dans mon canapé de tissu blanc, je dévore le dernier paragraphe d’un passionnant roman en l’attendant. La baie vitrée entr’ouverte, je l’entendrai forcément arriver malgré le ressac incessant de la mer qui me berce continuellement. Il s’agit d’une petite journaliste, qui m’a semblé si déterminée au téléphone que je n’ai pas eu le courage de lui refuser cette interview. Il y a bien longtemps que personne n’est venu m’interroger ici-même et si j’apprécie grandement ma solitude, un peu de compagnie de me fera pas de mal, du moins le temps d’un après-midi.

Du bout des doigts, je caresse le pelage souillé d’un vieux chat malade avant de noter sur mon tableau l’appel prochain en faveur du vétérinaire. Bastet, tu n’y couperas pas. Et mon portefeuille non plus, d’ailleurs. Nous te ferons passer cette mauvaise grippe, l’heure de ta mort n’a pas encore sonné… La mienne en revanche, qui sait…

Entendant la voiture s’insérer progressivement dans l’allée, je jette un dernier coup d’œil à ma table basse parfaitement disposée. Le thé, les préparations locales, les serviettes, les couverts, la décoration et les plantes aromatiques, tout est prêt. Sans oublier l’agréable musique d’ambiance qui teinte l’atmosphère d’une dimension surréaliste parfaitement adaptée. On se croirait dans un rêve, comme sur un nuage. J’espère que la demoiselle appréciera. Je tiens à mettre mes invités à l’aise.

Je décroise mes jambes dénudées et pose délicatement l’ouvrage sur le rebord du canapé, avant de me diriger vers la porte d’entrée. A l’ouvrir, mes doigts posés sur la poignée, Hecate se manifeste enfin, sur le qui-vive et pleine d’entrain. La déesse en a senti une autre, derrière la porte. Combien de chances y avait-il pour que cette charmante journaliste soit précisément dans le même cas que moi ? A n’en pas douter, j’ai du flair. Vive moi. Ou peut-être pas.

L’hésitation va grandissante. Il s’agit d’Artémis, reine de la chasse et des bois. Les deux déesses n’ont pas priori aucun différend à régler. Voilà qui est agréable, car je ne tolérerai aucun remue-ménage dans mon salon. « Entends bien cela, puissante magicienne… » Hecate ricane. J’ai déjà attendu trop longtemps.

J’ouvre enfin et gratifie ma vis-à-vis de mon plus charmant sourire. Une révérence et je la débarrasse de sa veste, avant de l’inviter à entrer. Je ne fais aucune allusion à nos respectives possession pourtant, je suis certaine qu’elle sait aussi. Ce que j’ignore, c’est si c’est la déesse ou l’humaine qui s’adresse à moi en cet instant. « Elles sont en conflit », me souffle Hécate… « Mais l’humaine est là pour toi… ». Parfait. Je n’ai que faire des histoires d’autrui, après tout. Je suis évidemment du côté d’Hecate et contre tout guerre dieux/titans humains/divinités. Si les déesses désirent comploter, je leur en laisserai l’occasion. Mais je veux demeurer témoin de la situation. Hecate me rassure, jamais elle ne me laisserait à l’écart. Nous avons bien trop de respect l’une pour l’autre pour cela, et je n’en doute pas une seconde. Face à la journaliste, je m’assois, et commence par lui proposer à boire. Mon interview d’abord, les futilités avant tout.

-Prenez vos aises, je vous en prie. Désirez vous boire ou manger quelque chose ? Posez votre dictaphone sur la table, allons. Et commencez quand vous voulez, je suis à votre disposition…